Philippe Mettens
Du système d’innovation belge à l’organisation des Établissements scientifiques fédéraux : une indispensable révolution
Référence 5 Version 1 Date 07/05/2012
Texte / Un audit du système d’innovation belge
Un audit du système d’innovation belge

Dans une récente étude éditée par la Politique scientifique fédérale (1), un audit approfondi du système d’innovation belge a été effectué : le Policy Mix Review 2011. Il a été réalisé, à la fois, par 7 experts européens (2), un représentant de la DG Recherche de l’UE, ainsi qu’avec l’appui d’experts belges issus des différents niveaux institutionnels. Ces experts se sont rapidement ralliés à un premier constat : « …les différents sous-systèmes belges de recherche et d’innovation sont indépendants en termes de gouvernance, de développement stratégique et de mise en application des politiques ». Ce constat a d’ailleurs été à la base d’une difficulté méthodologique importante puisque la décentralisation et le découplage des systèmes de recherche ont ajouté une couche supplémentaire en termes de complexité, ce qui rendait difficile l’examen (review) et l’évaluation du système belge. En effet, les auditeurs ont du analyser des sous-systèmes assez dissemblables et ont été confrontés à la difficulté de comprendre comment aborder la Belgique comme un ensemble. La synthèse des éléments du diagnostic conduit à mettre en évidence un certain nombre d’éléments clés. Premièrement, le sous-financement du système de recherche et d’innovation. A cet égard, on relèvera que les dépenses de R&D des Gouvernements belges ne se montent qu’à 0,85% du PIB, alors que l’objectif de Barcelone était fixé à 1% (le tiers à charge du public des 3% du PIB à consacrer à la recherche). Eu égard à la stagnation des investissements privés, les objectifs précités ne seront très certainement jamais atteints pour 2020, sauf, chose improbable, un relèvement massif des investissements en la matière. Ensuite, les experts ont estimé que « l’espace » belge de la recherche était complexe et très fragmenté. Aucun gouvernement régional, communautaire ou fédéral n’a d’ailleurs manifesté un quelconque intérêt pour renforcer les collaborations. Cette situation est dommageable : il a été relevé que les industries souffrent tout particulièrement de cette fragmentation et du manque de coordination. Pour les entreprises qui œuvrent dans le strict cadre régional, cette question n’est certes pas essentielle ; en revanche, pour celles qui ont une vocation transrégionale, nationale ou internationale, le compartimentage des politiques de recherche et d’innovation peut constituer un important goulet d’étranglement, selon le nombre et la localisation de leurs branches et l’activité qu’elles développent. Il va de soi que ce compartimentage handicape également l’atteinte d’une masse critique.

Rappelons à cet égard, que la Belgique s’appuie sur trois niveaux institutionnels pour organiser – ou pour être plus exact – désorganiser sa recherche (le Fédéral, les 3 Régions et les 3 Communautés) et que même si parfois, les compétences entre Communautés et Régions sont regroupées (Flandre), nous en sommes néanmoins à 6 Ministres (3) pour gérer cette compétence. Et nous ne comptons pas les Ministres en charge de l’Economie ou des Finances, dont le rôle est pourtant également important… C’est assez effarant, mais peut-être moins encore que le système institutionnel lui-même qui prend sa véritable dimension lorsqu’on tente de l’illustrer au travers d’un schéma (voir fig 1. issue du BRISTI (4) ). A noter également que cette fragmentation a un impact sur la position de la Belgique au niveau européen, tant les difficultés sont grandes pour aboutir à une position commune et influer significativement sur le dispositif décisionnel européen. Les experts se sont également émus du fait que les Régions et Communautés avaient défini leurs priorités en matière d’investissements publics de manière totalement indépendante, en négligeant donc les interconnexions nécessaires et la coordination indispensable entre les diverses initiatives. Les experts ont également mis en évidence l’insuffisance des capacités humaines présentes dans les organismes chargés de définir les politiques de recherche et d’innovation.

Enfin, les experts ont soulevé 4 points critiques de notre système :

  • Une part considérable des moyens publics est allouée à des organismes de recherche publics, tandis que l’industrie n’est pas très consultée dans la définition globale des agendas en matière de recherche. Un renforcement du dialogue entreprises/Centres de recherche publics est donc indispensable ;
  • En Flandre, la majeure partie des instruments de recherche et d’innovation cible des organisations individuelles tandis que trop peu de régimes sont consacrés à la collaboration à moyen-long terme entre entreprises (clusters) ou entre entreprises et organismes de recherche ;
  • Hormis les Pôles d’Attraction Interuniversitaires (PAI), il n’y a pas d’instruments dévolus à la collaboration transrégionale ;
  • Les lacunes en matière de coordination entre « innovation » et « recherche/science » sont aggravées par l’éparpillement des compétences en matière de politique scientifique ;

Représentation des « parties intervenantes » au Système d’innovation belge.

Cependant, les experts se sont accordés sur la reconnaissance de la qualité de la production scientifique en Belgique, ainsi que sur celle de la formation de ses travailleurs. Les Universités belges ont ainsi une production académique qualitativement très élevée. Le taux de publication par 10.000 habitants, par exemple, est ainsi de 13 en Belgique, alors qu’il n’est que de 7,4 dans la moyenne des 27 Etats membres de l’UE, de 9,9 aux USA et de 6,1 au Japon. La recherche belge affiche également un niveau de coopération internationale relativement élevé, puisque 54% des publications sont signées avec des auteurs étrangers. A cet égard, les experts ont insisté sur la nécessité de soutenir la recherche d’excellence et sur le fait que celle-ci est fortement liée à la recherche initiée par les chercheurs eux-mêmes (Bottom-up). Enfin, un dernier aspect a été relevé par les experts quant aux relations entre entreprises d’un part, et entre sphères académique et industrielle d’autre part. A nouveau, un paradoxe est relevé. La position initiale de la Belgique est relativement bonne en cette matière puisque, par rapport à la moyenne des 27 Etats membres de l’Union européenne, la Belgique se situe nettement au-dessus de la moyenne du Tableau de bord européen de l’innovation en termes d’indicateurs de liens, indexée à 199 pour les PME novatrices qui collaborent avec d’autres et à 170 pour les copublications privées. En revanche il se confirme à nouveau au niveau macro-économique, que les barrières entre Régions empêchent les chercheurs, institutions et entreprises de collaborer à des niveaux identiques par-delà les Régions.

Au terme de ces analyses et constats, les auditeurs ont tracé des pistes de recommandations. Elles sont nombreuses et intéressantes mais faute de pouvoir les détailler, le lecteur se référera à l’étude complète. Nous en retiendrons néanmoins quelques-unes pour illustrer notre propos :

  • Une collaboration accrue et plus étroite entre les Régions et Communautés ainsi qu’avec le niveau fédéral serait profitable dans la perspective de
    • … mettre en place un ensemble de politiques plus cohérentes et transparentes pour les bénéficiaires ;
    • … parvenir à une masse critique dans les domaines où la Belgique tente de faire la différence dans un marché globalisé ;
    • … s’attaquer à la taille infracritique de certaines administrations en charge de la recherche et de l’innovation (5).

  • Il faut absolument que les pouvoirs publics accroissent leurs dépenses et investissements en matière de recherche (objectif 3% du PIB dont 1% pour les pouvoirs publics). Il devrait en être effectivement de même au niveau des entreprises (2%);
  • Il faut supprimer les obstacles interrégionaux. A cet égard, les experts pointent une mesure courageuse qui consisterait à ouvrir tous les systèmes de soutien à la recherche et à l’innovation au bénéfice de n’importe quelle équipe ou entreprise en Belgique ;
  • Il faut une interaction cohérente entre les financements institutionnels ;
  • Il faudrait une plate-forme interministérielle (Régions, Communautés, Fédéral, Finances, Economie) qui se réunirait régulièrement afin de définir un agenda commun en matière de recherche stratégique et d’innovation pour les différents niveaux de pouvoir. Une « Commission pour l’Espace belge de la recherche » pourrait être créée ;
  • Les Autorités belges devraient également coopérer davantage afin de construire une stratégie et une approche communes à l’égard de la recherche européenne et notamment en ce qui concerne les grandes infrastructures de recherche (CERN (6), ESRF (7), MYRRHA (8),…) ;
  • Il faudrait développer une approche orientée vers la « solution client » stricte afin de surmonter la complexité des structures de gouvernance et amorcer une simplification des instruments de politique et de financement de la recherche.

En conclusion, on peut à nouveau confirmer que notre système d’innovation est d’une extrême complexité, que le financement global de la recherche est insuffisant, et en particulier le financement public, et que malgré cela la qualité de la recherche dans notre pays est très bonne. Nous sommes donc face à une situation où, incontestablement, le haut potentiel dont nous disposons est sous-exploité, à la fois pour des raisons institutionnelles et de financement.

La Politique scientifique fédérale, un joueur important mais méconnu

Aux termes des Lois spéciales de réformes institutionnelles du 8 août 1980 (Art.6 bis § 1, 2 et 3), date de la dernière réforme ayant eu un impact significatif sur la compétence de recherche au fédéral, ce niveau institutionnel apparaît comme détenteur d’une capacité d’action résiduelle. On précise dans la Loi que les Régions et Communautés sont compétentes en matière de recherche, dans le cadre de leurs compétences (sic) respectives, en ce compris la recherche en exécution d’accords internationaux… Mais d’ajouter que l’autorité fédérale est « toutefois [compétente pour] la recherche scientifique nécessaire à l’exercice de ses propres compétences, en ce compris en exécution d’accords internationaux ; la mise en œuvre et l’organisation de réseaux d’échanges de données entre Etablissements scientifiques sur le plan national et international ; la recherche spatiale dans le cadre d’institutions et d’accords internationaux ou supranationaux ; les Etablissements scientifiques et culturels fédéraux, en ce compris les activités de recherche et de service public scientifiques […] ; les Programmes et actions nécessitant une mise en œuvre homogène sur le plan national ou international […] ; la tenue d’un inventaire permanent du potentiel scientifique ; la participation de la Belgique aux activités des organismes internationaux de recherche suivant les modalités fixées par des accords de coopération ». Le § 3 précise en outre : « Sans préjudice des dispositions du § 1er, l’autorité fédérale peut prendre des initiatives, créer des structures et prévoir des moyens financiers pour la recherche scientifique dans les matières qui sont de la compétence d’une Région ou d’une Communauté » et ce, selon des modalités à définir.

Dans le cadre du tendanciel général dans lequel notre Pays a évolué depuis les premières phases de réformes institutionnelles, ce texte légal est néanmoins toujours apparu comme la définition d’un reliquat de compétences, sans importance et en sursis. Aussi, durant les 20 années qui suivront l’adoption de ce texte, soit jusqu’en 2000, la politique scientifique fédérale s’efforcera-t-elle de mener des actions inspirées certes par l’efficacité mais aussi par la discrétion, dans le but de ne pas apparaître aux yeux des nouveaux détenteurs de la compétence de recherche, comme menaçante ou usurpatrice. Au fil du temps, tous les observateurs se sont progressivement accordés sur le fait que la prochaine phase de réforme serait fatale au Département. C’est donc antérieurement aux réformes de 1980 que les plus grands domaines d’actions et initiatives de la Politique scientifique ont été initiés : en 1970 pour les Programmes de recherches sur le « développement durable » et la « société de l’information », en 1975 pour les Programmes en Sciences spatiales et Energie, ainsi que le lancement de l’Unité de gestion du modèle mathématique de la mer du Nord (UGMM) ainsi d’ailleurs que la gestion de la participation belge aux Programmes de l’Agence spatiale européenne (ESA). En 1977 interviennent les premiers Programmes aéronautiques, tandis que 1979 voit naître l’idée de la construction d’un navire océanographique (le Belgica) lancé en 1985 et toujours en activité aujourd’hui. Après 1980 et le coup de frein que la Loi spéciale a occasionné aux ambitions scientifiques fédérales de l’époque, seules quelques activités ont été lancées. Elles sont pourtant très importantes et, paradoxalement, se révèleront essentielles dans les débats qui interviendront 30 ans plus tard avec la 5e réforme de l’Etat, entre juin 2010 et décembre 2011. Il s’agit de la participation financière fédérale aux Programmes-cadres européens (1984), du démarrage du Programme Antarctique, dans le cadre de la participation belge au Traité Antarctique (1985), de la participation aux Programmes Euréka, bénéficiant pourtant aux Régions mais dont le fédéral assure la coordination internationale et enfin, des Pôles d’Attraction Interuniversitaires lancés en 1986 (voir plus loin). On aperçoit néanmoins que ces initiatives se positionnent clairement dans une orientation internationale ou transrégionale. La Politique scientifique fédérale tentait de se dessiner un avenir et des missions spécifiques dans un pays qui allait devenir, au pied de l’article 1er de la Constitution, en mai 1993, un Etat fédéral. Notons enfin, la création en 1988 du réseau télématique de la recherche belge (BelNet), aujourd’hui encore fournisseur internet à haute performance de toutes les Universités, Centres de recherche et Hautes écoles du pays (9).

Jusqu’à la fin du XXe siècle, la Politique scientifique au fédéral est donc demeurée en attente, tapie dans l’ombre des Régions et Communautés, se résignant à la funeste perspective de la prochaine phase de réformes institutionnelles que les responsables de l’époque considéraient comme, inévitablement fatale. Ce sentiment était d’ailleurs largement partagé, tant dans la Communauté académique que dans les milieux politiques. A noter qu’au cours de cette période, un mouvement discret s’est même dessiné prétendant anticiper les conséquences des réformes à venir. On a ainsi vu naître des débats sur le transfert de certaines compétences des Services fédéraux des Affaires scientifiques et culturelles (S.S.T.C.  (10) ) vers d’autres Départements fédéraux. Des documents ont été produits à ce propos (11). Il s’agissait de faire glisser les différents Programmes de recherche thématiques aux pieds des Départements utilisateurs des résultats, de laisser les Programmes aéronautiques au Ministère des Affaires économiques, d’isoler la Politique spatiale dans une structure indépendante qui aurait naturellement vocation à être cogérée par les Régions et, surtout, de conférer à chaque Etablissement scientifique relevant du Département, une autonomie complète tout en les confiant à la tutelle d’un tiers à déterminer… Il s’agissait de l’entame d’un démantèlement préjudiciable et donc inopportun.

Ce travail tendancieux exerça une influence incontestable lors de la définition de l’architecture de l’Etat fédéral à naître aux termes de la réforme Copernic de 2000. En effet, au moment de boucler la nouvelle structure administrative de l’état, la Politique scientifique avait et, presque selon son propre vœu, totalement disparu. Sans débat, sans mobilisation, sans coup férir, une mort douce l’attendait. Il aura fallu l’intervention désespérée de quelques-uns pour que ces compétences soient réunies, in extremis, au sein d’un Service public fédéral de programmation. Cette curieuse qualification que BELSPO conserve encore aujourd’hui est d’ailleurs le stigmate de cette curieuse anecdote. En effet, cette intervention ultime allait contrarier les plans relatifs à la création des Services publics fédéraux et à leur équilibre interne. Un compromis a dû être trouvé. Il a pris la forme de ce Service de programmation dont le statut, a priori, n’était guère enviable mais qui avait néanmoins le mérite d’offrir un avenir fédéral à cette compétence essentielle. L’ironie de la situation fit d’ailleurs que le statut d’’expédient’ permettait de renouer avec la dénomination initiale du Département : Service de programmation de la Politique scientifique (SPPS), qui prévalut dès 1968 (12). C’est donc par l’Arrêté royal du 25 avril 2002 que le Service public fédéral de Programmation « Politique scientifique » est né… au sein du Service public fédéral « Economie, PME, Classes moyennes, Energie ». Il faudra attendre l’Arrêté royal du 22 avril 2005 pour que le Département adopte sa forme actuelle, s’émancipe du SPF Economie et marque un premier pas déterminant pour la réforme que nous allons aborder en intégrant totalement les Etablissements scientifiques fédéraux et en faisant de ses Directeurs généraux (13) des membres à part entière du Comité de Direction du SPFp Politique scientifique.

schéma initial (actuel) du Service public fédéral « Politique scientifique »

Aujourd’hui, ce Département que nous avons coutume d’appeler BELSPO (14), est devenu le 4e plus grand Service public fédéral en terme de personnel avec près de 3.000 fonctionnaires dont de très nombreux scientifiques et chercheurs. Il mobilise un budget opérationnel de l’ordre de 550 millions d’euros en base annuelle (15) et s’appuie sur douze directions générales et trois directions d’encadrement (16). BELSPO déploie ses activités selon 3 axes. Le premier a trait aux Programmes de recherche dans différents domaines souvent très spécifiques (développement durable, sciences spatiales, société de l’information, climat, Antarctique, biodiversité…). Notons, tout particulièrement les Pôles d’Attraction Interuniversitaires (PAI), déjà cités qui constituent les derniers réseaux nationaux de recherche fondamentale en Belgique. Ce seul programme représente 156,35 millions d’euros (17) et stimule de facto les coopérations transrégionales suggérées dans les recommandations des experts européens (développées au point 1 du présent article). C’est en son sein que nous trouvons aussi, depuis peu (18), la Station de recherche en Antarctique (Princess Elisabeth Station) dont la propriété et la gestion logistique et scientifique incombent à BELSPO. Cette infrastructure constitue un merveilleux complément aux activités des chercheurs, notamment sur le climat, domaine que nous finançons par ailleurs depuis près de 25 ans. Le deuxième axe des activités de BELSPO concerne la Politique spatiale et aéronautique qui s’inscrit, globalement, dans le cadre des missions de l’Agence spatiale européenne (ESA) et des activités d’Airbus Industries. Les activités spatiales se développent également dans le cadre d’accords bilatéraux avec la France, l’Argentine, la Russie… Au total, cette enveloppe représente près de 200 millions d’euros par an et contribue de manière déterminante au positionnement des industriels belges dans des marchés de haute technologie. En matière aéronautique, la contribution fédérale a permis le soutien à des activités de R&D dans les entreprises et leur a offert la capacité d’entrer dans les Programmes Airbus A-320, A-380, A-350 et A-400M (19).

Depuis la décision des autorités belges de participer aux Programmes de l’Agence spatiale européenne (1975), la Belgique s’est d’ailleurs créé un véritable tissu industriel de petites et moyennes entreprises en lien étroit avec les milieux scientifiques et la recherche, et souvent aussi actives à la fois en aéronautique et en spatial. Il en est de même d’ailleurs dans des secteurs encore plus pointus comme l’astronomie et la construction de télescopes pour lesquels la Belgique fait figure de leader mondial (AMOS (20) ). Ce statut de leader est directement lié aux soutiens fédéraux. Notons enfin les missions spatiales auxquelles ont participé les belges Dirk Frimout (21) et Frank Dewinne (22). La première mission de Frank Dewinne, le 27 mai 2009, au départ de Baïkonour au Kazakhstan a d’ailleurs été financée entièrement par BELSPO.

La troisième branche des activités de la Politique scientifique fédérale est celle qui fait le lien entre la science et la culture ; c’est la plus prestigieuse et elle est porteuse du plus grand des potentiels : les Etablissements scientifiques fédéraux. BELSPO est ainsi responsable de 10 institutions dont 4 musées. A ce titre, BELSPO gère un patrimoine estimé à plus de 6,5 milliards d’euros et met en œuvre des activités scientifiques de très haut niveau et extrêmement spécifiques. La plupart des Etablissements scientifiques sont également très impliqués dans des réseaux internationaux et souvent même, points focaux ou responsables directs du suivi de Conventions, Traités et Actes internationaux. Les Etablissements scientifiques fédéraux sont le cœur de cible de notre réforme. Ils se regroupent dans ce que l’on a coutume de qualifier des « Pôles » sans pour autant que ceux-ci aient un quelconque impact sur l’organisation concrète de chacun de leurs membres. Ainsi, le Pôle « Documentation » est-il composé des Archives générales du Royaume et de la Bibliothèque royale de Belgique auxquelles il y a lieu d’ajouter le Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES) et même la Cinémathèque royale (Cinematek), également et exclusivement dotés par BELSPO. Le Pôle « Espace » situé sur le plateau d’Uccle se compose de l’Institut d’aéronomie spatiale de Belgique, de l’Institut royal météorologique, tous deux issus, historiquement, de l’Observatoire royal de Belgique, Institution mère née en 1823 des œuvres d’Adolphe Quetelet (1796-1894). Le Pôle « Nature », quant à lui, est composé de l’Institut royal des Sciences naturelles et ses célèbres iguanodons de Bernissart et du Musée royal d’Afrique centrale, vitrine du passé colonial et, parfois, peu glorieux de notre Pays. Enfin, le Pôle « Art » s’articule autour des Musées royaux des Beaux-Arts et des Musées royaux d’Art et d’Histoire dont s’est détaché en 1948 l’Institut royal du Patrimoine artistique, héritier des ateliers de photographies nés en 1900 au sein des Musées royaux. C’est en 1919 que l’appellation Musées royaux des Beaux-arts de Belgique apparaît mais, en réalité, sa naissance remonte à plus d’un siècle plus tôt lorsqu’au lendemain de la révolution française, des œuvres saisies par les révolutionnaires ont été rassemblées à Bruxelles. C’est le premier consul Bonaparte qui, en 1802, créa le Musée de Bruxelles, ancêtre de l’Etablissement scientifique actuel.

Ainsi donc, globalement, le niveau fédéral constitue un échelon essentiel du système d’innovation belge. En y ajoutant la dimension culturelle et patrimoniale qui le caractérise, il prend une ampleur encore plus importante. Lorsque, cependant, on additionne l’ensemble des moyens mobilisés par le Département, à ceux des autres Départements fédéraux qui sont également actifs en matière de recherche (Défense, Santé publique (23) et SPF Economie (24) ) ainsi qu’au considérable dispositif fiscal que nous avons mis sur pied en 2002 (25) et qui, à lui seul, mobilise plus de 500 millions d’euros par an, le fédéral, selon les dernières statistiques publiées au sein du Belgian Report on Science, Technology and Innovation 2010 (BELSPO), représente 35 % des dépenses publiques de recherche en Belgique (26). Associée au patrimoine dont la valeur avoisine les 6,5 milliards d’euros que nous évoquions plus haut, on peut considérer que la Politique scientifique fédérale est, comme le suggérait le titre de notre chapitre, un «  joueur important mais méconnu »…

Répartition des dépenses publiques de R&D en Belgique

Une dernière considération permet de mesurer l’importance de l’acteur BELSPO : par comparaison avec les autres acteurs. La Wallonie tout entière ne représente que 12% de ces dépenses publiques. La Fédération Wallonie-Bruxelles affiche 11%, et Bruxelles seulement, 1%. La Flandre, elle, représente 41% du total des crédits de recherche. Le morcellement institutionnel est donc, non seulement, extrêmement fâcheux, mais lorsqu’il se décline en termes budgétaires, on mesure mieux encore l’ampleur des défis à relever.

Les Etablissements scientifiques fédéraux : le paradigme du système d’innovation belgeIntroduction

Nous le savons désormais, les Etablissements scientifiques fédéraux (ESF) sont des institutions caractérisées par des activités scientifiques souvent très spécifiques et, pour la plupart, orientées vers le patrimoine dont elles ont la charge. Au-delà de la valeur même de ce patrimoine, on peut noter la grande qualité moyenne des activités de recherche scientifique qui y sont développées. En 2010, le Prof. H. Capron de l’ULB estime dans une étude commandée par BELSPO (27) que les activités scientifiques des Etablissements se comparent élogieusement à celles de grands centres universitaires étrangers, tels que les meilleurs Départements britanniques. Cette étude montrait, par exemple, qu’en 2004, les quatre Musées (28) comptaient dix-huit Départements ou laboratoires de recherche impliquant 310 chercheurs qui, globalement, avaient publié 869 articles et chapitres de livres. Elle notait également à ce moment, l’existence de 343 liaisons formelles avec des Universités belges ou étrangères. Sur le plateau d’Uccle, sur la base d’une analyse de l’année 2005, l’étude du Prof. Capron dénombrait 205 chercheurs et 676 publications de très haut niveau, puisqu’on y relevait notamment deux publications dans Science. Il existe au sein de ces Etablissements, des chercheurs reconnus comme le Prof. Véronique Dehant, Chef de Section à l’Observatoire royal et Prix Descartes en 2003 ou le Prof. François de Callataÿ (29), Chef de Département à la Bibliothèque royale et Prix Francqui en 2007. Il n’est pas rare que des scientifiques issus de ces Etablissements publient dans les revues les plus prestigieuses du monde, comme déjà évoqué, dans Nature ou Science, ou s’illustrent par leurs travaux dans le monde entier (30). Or, il se trouve que cette qualité est diffuse et qu’elle n’est pas portée par une stratégie ou une structure qui tend à la promouvoir. Certes, ces Etablissements et leur patrimoine ainsi que les missions qu’ils exercent peuvent faire éclore des talents ou des travaux originaux, mais rien n’est structurellement mis en œuvre pour y parvenir. Le premier écueil auquel sont confrontés les Etablissements est l’extrême cloisonnement de leurs activités. Chaque ESF, même au sein d’un pôle, exerce ses activités, une jalouse autonomie chevillée au corps. Une ambition d’autonomie qui ne se limite pas au volet scientifique mais qui s’exprime également à travers tous les aspects liés au fonctionnement quotidien. Plus encore, au sein même de ces Institutions, une organisation éculée pousse à une structuration pyramidale et basée sur des classifications héritières du XIXe siècle. Ainsi, dans la plupart des Etablissements, ou pour certains jusqu’il y a peu, on trouve des Départements aux thématiques immuables, divisés en Sections, dirigées par des scientifiques, parfois de très haut niveau mais exerçant leurs activités en dehors de toute vision stratégique ou de processus d’évaluation, pourtant inhérents à la démarche scientifique. Une démarche, sans autre inflexion que celle de la carrière de celui ou celle qui exerce ces activités. Ainsi, par exemple, on trouve aux Musées royaux d’Art et d’Histoire un Département Industries d’Art divisé en quatre sections : Sculpture, mobilier et textile ; Métaux, orfèvrerie, argenterie et objets précieux ; verrerie, vitraux, céramique ; folklore, voiture, hippomobile. On admettra aisément qu’il est difficile de décrire une identité forte avec une telle structuration et ce, malgré l’intérêt scientifique et la qualité éventuelle des travaux qui y sont conduits. En termes de recherche scientifique, cette organisation empêche également le développement de nouvelles stratégies et surtout, le positionnement des Etablissements scientifiques à un niveau pertinent dans les domaines qui pourtant leur sont spécifiques. Nous sommes dans des situations de tailles infracritiques décrites dans le Policy Mix évoqué au chapitre I du présent article. Il est ainsi - autre exemple - curieux de mesurer l’incapacité de nos Institutions de constituer un Centre d’excellence en matière de recherche sur le climat alors que de nombreux scientifiques du plateau d’Uccle, du Musée royal d’Afrique centrale, de l’Institut royal des Sciences naturelles, d’une part et nos Programmes de recherche sur le climat ainsi que notre Station de recherche en Antarctique, d’autre part, pourraient faire de ces structures réunies, un acteur incontournable au niveau international. Il en est de même lorsqu’on constate l’absence pratiquement totale de collaborations et d’échanges entre les scientifiques du plateau d’Uccle. Pourtant, ceux-ci confessent des activités proches et, de surcroît, sans que cette coopération n’ait un quelconque impact significatif, sur leur organisation. C’est dommage. Ils sont pourtant financés par BELSPO dans le cadre d’un très virtuel Centre Terre et Soleil (31), censé conduire des actions communes… Il n’en est rien, ou si peu. Nous devons néanmoins à la vérité de reconnaître qu’il existe bel et bien quelques projets communs à plusieurs ESF, mais ils ne sont, le plus souvent, que le fruit d’initiatives portées par des scientifiques isolés et dans le cadre d’appels ad hoc et, nullement le fruit d’une ambition globale, unanimement partagée et structurellement mise en œuvre.

Il en va de même pour le patrimoine détenu par ces institutions. Par le biais d’un mécanisme bien naturel, chaque directeur a le sentiment d’être sinon propriétaire, du moins dépositaire exclusif d’une collection. Jamais la notion d’unicité de ce patrimoine fédéral n’est mise en exergue. Or, il s’agit bien d’une seule et unique « collection » qui doit être abordée comme telle et qui mérite d’être valorisée de la manière la plus opportune et contemporaine. Nous l’avons déjà évoqué, la répartition actuelle des collections est le fruit d’un héritage multiséculaire. Son organisation au sein même des institutions est souvent basée sur des classifications éculées. Or, nous disposons d’ensembles, actuellement dispersés, qui, s’ils devaient être recomposés, offriraient à la Belgique la capacité de mettre en exergue des trésors dont l’attractivité pourrait être mondiale. Citons pour exemple, les collections de zoologie, de botanique, de géologie qui existent au Musée royal de l’Afrique centrale, à l’Institut royal des Sciences naturelles… et du Jardin botanique national. La seule collection du Museum des Sciences naturelles se classe au 4e rang mondial, avec 37 millions de spécimens devant New York, Berlin, Chicago. Celle de Tervuren se classe, certes, un peu derrière, avec 10 millions de spécimens, mais si les deux étaient réunies, nous serions très loin des suivants avec près de 50 millions d’espèces contre 30 millions seulement pour le Natural Museum of Natural History de New York. Que dire aussi, à l’aune des pièces exposées au Musée du Quai Branly inauguré en juin 2006 à Paris, des collections fabuleuses du Musée royal d’Afrique centrale, potentiellement associées à celles des Musées royaux d’Art et d’Histoire ? Que dire de notre potentiel, en associant les collections des Musées royaux d’Art et d’Histoire, celle de l’Institut royal des Sciences naturelles et de Tervuren, nous constituerions un superbe Musée de la préhistoire ? Nouvelle illustration : la Belgique est connue dans le monde, désormais, pour ses difficultés institutionnelles mais aussi pour le chocolat, la bière et l’Art nouveau. Nous disposons aux Musées royaux des Beaux-Arts, aux Musées royaux d’Art et d’Histoire, mais aussi à la Bibliothèque royale, de pièces de toutes natures permettant de constituer un ensemble unique au monde. Nous avons par ailleurs, dans notre patrimoine un bâtiment illustratif de ce courant artistique, le Old England situé au Mont des Arts. Nous avons donc à portée de la main, un Musée exceptionnel sur l’Art nouveau susceptible de donner un coup de fouet significatif à la dynamique culturelle de Bruxelles… On peut légitimement s’interroger sur les raisons pour lesquelles cette réflexion, somme toute évidente, n’a pas pu être concrétisée dans les faits. Les exemples sont légion et nous allons en évoquer de nombreux pour l’illustrer.

On peut donc, d’ores et déjà en conclure, dans une approche partielle, que les Etablissements scientifiques fédéraux de BELSPO, en tant qu’entités cloisonnées et disposant d’un haut potentiel en termes de recherche scientifique et de valorisation patrimoniale constituent le paradigme du système d’innovation belge. Il se compose d’une multitude d’entités distinctes produisant, néanmoins, une recherche très satisfaisante, voire parfois de niveau international. Les recommandations qui valent pour le système d’innovation devraient valoir également pour les Etablissements scientifiques. Il y a par conséquent lieu de décloisonner leurs activités afin de leur donner un rayonnement maximal dans le paysage culturel et scientifique belge ainsi qu’international, mais aussi afin de dégager de considérables économies d’échelle au profit de ces activités. Tels sont les fondements de la réforme que nous envisageons.

Le cas du Musée Magritte

De nombreuses études contemporaines assignent à la culture un rôle majeur dans le développement d’une économie de sortie de crise en Europe. Le Forum d’Avignon (32), organisation récente, met d’ailleurs sur pied, annuellement, un rassemblement des milieux culturels, économiques et financiers pour procéder à des échanges sur le sujet. Consciente de la nécessité de développer une économie qui soit fondée sur le développement durable, l’Europe peut donc puiser une vitalité nouvelle dans des investissements en ce domaine. Il doit en être de même, comme nous l’évoquions plus haut, avec la recherche scientifique. Dans le premier registre, l’ouverture du Musée Magritte, en juin 2009, a concrètement contribué à amortir l’impact de la crise économique à l’échelle de Bruxelles. Plusieurs études ponctuelles ont ainsi démontré l’effet mobilisateur de cette inauguration. Le Musée Magritte a accueilli 583.000 visiteurs en un an d’exploitation (juin 2009 - juin 2010) et a atteint le million de visiteur durant l’été 2011 (33). Une étude sommaire réalisée en novembre 2009 par l’Observatoire des publics dépendant de BELSPO a permis de mieux identifier ces visiteurs : Les 18-44 ans représentent 47% des visiteurs, le Musée Magritte est un « musée jeune ». 58% des visiteurs sont étrangers, le Musée Magritte est donc un « musée international ». Ces visiteurs viennent principalement de France (48%) puis, par ordre décroissant, des États-Unis (8%), d’Italie (7%), des Pays-Bas (6%), d’Allemagne (6%) de Grande-Bretagne (6%). Le Musée Magritte a donc, sur la seule base de son attractivité internationale, des potentialités considérables. Et on ne peut donc se contenter d’estimer que le succès actuel va doucement s’étioler, comme certains observateurs pourraient le craindre. Parmi les chiffres livrés par cette enquête réalisée après six mois d’existence, deux interpellent particulièrement : le Musée Magritte a été, pour 37% des visiteurs étrangers, le motif principal d’une visite de Bruxelles qui fut aussi, à cette occasion, une découverte ; pour 60% ce fut le prétexte à un retour sur place. Ceci démontre, non seulement, la capacité d’attraction du Musée Magritte, en tant que tel, mais aussi son impact économique. Le second indicateur tient dans la relation des visiteurs à l’institution. 51% de ceux qui ont découvert le Musée Magritte n’avaient jamais visité les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Notons enfin, que les coûts d’exploitation du Musée Magritte - soit ± 2 millions € - pèsent sur ce seul Musée. Ses recettes propres lui permettent en effet d’être globalement autofinancé et même, de dégager, sur l’année 2010, par exemple, un bénéfice de 700.000 €. Ces moyens ont d’ailleurs été investis dans l’acquisition d’œuvres et capitalisés pour les expositions à venir. La création du Musée Magritte a aussi, et c’est notable, contribué à la pérennisation d’emplois non qualifiés.

Le Musée a-t-il cependant été seulement conçu comme un projet attractif et économiquement porteur ? En d’autres mots, a-t-on préféré sacrifier la rigueur académique dans l’approche de l’œuvre de ce peintre surréaliste, au profit d’une démarche mercantile ? Il n’en est évidemment rien. Le Musée Magritte Museum est le fruit d'une réflexion avancée dans le domaine de la muséologie et de l'Histoire de l'Art. Notamment dans le renouvellement de l'approche monographique qui ne se contente plus de caricaturer la vie d'un artiste par une succession d'œuvres présentées chronologiquement. Ici, le propos intègre le visiteur dans trois niveaux de lecture : la vie, les idées et les œuvres. Niveaux qui se développent en parallèle comme trois degrés de lecture dont les interconnexions favorisent la contextualisation des œuvres présentées de manière indépendante afin de ne pas en brouiller les schémas de lecture. Pour parvenir à ce résultat, le Musée Magritte a développé une réflexion originale qui intègre les codes visuels de l'exposition temporaire aux schémas d'interprétation hérités, notamment, d'Aby Warburg (34) et de sa Mnémosyne (35). Histoire sans parole, le Musée donne au visiteur une liberté d'interprétation à partir de laquelle viennent se greffer les outils interprétatifs classiques. Il est donc également, le fruit d’une approche académique.

Partant de cette expérience, associant rigueur de l’approche et attractivité pour le grand public, il nous est apparu opportun de développer un modèle semblable qui unirait sous une même « coupole » les institutions du Pôle Art de BELSPO et, plus concrètement, en les distribuant en « unités muséales » qui constitueraient autant de centres d’excellence alliant cohérence des collections et qualité de la recherche. Ces unités muséales seraient ainsi réparties sur deux sites - le Mont des Arts et le Cinquantenaire - à partir desquels seraient réparties les équipes administratives, logistiques et techniques. A ce schéma répond la nécessité de développer un projet global qui rencontre les attentes de partenaires différents : la Ville de Bruxelles comme acteur local disposant d’un potentiel immobilier et financier important (et ce surtout dans la perspective de la construction d’un nouveau Musée d’Art moderne et contemporain - voir pt. 5, conclusions) ; la Région de Bruxelles-Capitale comme acteur de la mobilité et de la promotion touristique ; les universités comme partenaires scientifiques en vue de la mise en place d’une économie de la connaissance qui lie recherche fondamentale et applications industrielles ; enfin, le secteur privé comme partenaire en vue de la mise en place d’une industrie du patrimoine dont les musées seraient la vitrine et qui mobiliserait des acteurs économiques et universitaires. Le Musée Magritte, inauguré en 2009, constitue donc une première approche et une magnifique illustration du décloisonnement patrimonial que nous souhaitons promouvoir. Il s’est opéré à l’échelle d’un seul Etablissement mais a montré la force d’un projet porteur d’une identité forte. Il a également permis, par sa conception, d’attirer un important mécénat et de concentrer en son sein, des œuvres qui demeuraient jadis à la seule disposition de Fondations et de collectionneurs privés. C’est aussi à ce titre que le décloisonnement patrimonial est intervenu. Ce succès doit nous inspirer et notre démarche, s’approfondir.

Les synergies nécessaires entre les composantes du Pôle Espace

Le Pôle Espace, nous l’avons rappelé, réunit sur un même site des Institutions qui en réalité, sont toutes héritières de l’antique Observatoire royal de Belgique. On peut donc d’ores et déjà indiquer que leur rapprochement, pour peu qu’il fut souhaitable, ne serait qu’un retour aux sources. Certes, depuis l’époque de la création de l’IRM, d’une part, et de l’IASB ensuite, le contexte a considérablement changé et en particulier, les centres d’intérêts scientifiques, les activités de BELSPO et les attentes de la communauté internationale. Nous pensons notamment à l’émergence de la question du climat, de son évolution et l’intérêt qu’il suscite dans la Communauté internationale. En se partageant les différentes couches de l’atmosphère et de l’espace interplanétaire, les scientifiques du plateau sont en capacité de travailler, notamment, sur l’ensemble des paramètres qui influencent le climat. Plus précisément, ces trois Etablissements s’intéressent aux relations « Terre-Soleil ». Le Solar Influences Data Center de l’ORB (36) surveille la météo solaire et distribue des données pour toute l’Europe occidentale. Son travail est crucial, notamment, pour ce qui a trait aux possibles perturbations des signaux GPS ou aux effets des orages géomagnétiques liés aux modifications des vents solaires. Ces objets d’études sont également importants pour l’IASB qui situe son centre d’intérêt sur l’ionosphère (37) et la magnétosphère (38), également cibles des perturbations liées aux activités solaires. L’IRM n’est pas en reste et collabore également à des projets visant à informer, en temps réel, les utilisateurs de GPS quant aux erreurs de positionnement dues aux perturbations ionosphériques et aux tempêtes géomagnétiques. L’ORB travaille également sur les signaux radio émis par les sondes spatiales (Mars Express, Venus Express) ; l’analyse des données est d’ailleurs financée par PRODEX (39), et ce, grâce à la participation de BELSPO aux programmes de l’ESA. Or, ces données sont aussi utiles pour les chercheurs de l’IASB, notamment pour les profils de température de l’atmosphère des planètes. Le domaine de la physique solaire est également une source considérable de synergies entre les ESF du Groupement Espace. On le voit, les centres d’intérêts communs sont nombreux et c’est leur intégration qui ouvre de larges horizons de consolidation et de développement du positionnement international du plateau d’Uccle. L’essentiel étant de renforcer cette visibilité et cette reconnaissance dans les organisations internationales. Et la qualité des scientifiques est présente pour ce faire. Rappelons qu’en 2003 deux chercheurs de l’IRM ont été honorés par un prix de la NASA pour leur contribution au suivi climatique de la Terre (40) ou qu’en 2006, Vivianne Pierrard, de l’IASB s’est vue décerner la Médaille Zeldovich par l’Académie des Sciences de Russie pour son étude spatiale sur l’atmosphère supérieure de la Terre. Les programmes de recherche de BELSPO en la matière permettent aussi, nous l’avons vu, de définir une véritable chaîne allant de l’impact des activités humaines aux fluctuations du rayonnement solaire pour aborder cette problématique climatique.

Ce continuum potentiel existe, par bribes, mais il n’est pas abouti. En effet, malgré les initiatives qui ont été sollicitées par BELSPO (Centre d’Excellence sur le climat) et financées de manière structurelle (Centre d’excellence Terre et Soleil), il semble qu’il y ait au sein du pôle davantage de réticences que de volonté de collaboration. L’évidence nous conduit pourtant à estimer que sur un seul et même site, les synergies, ne fut-ce que dans un souci de bonne gestion des deniers publics, devraient être maximales. Il n’en est rien. Alors qu’un « secteur commun » a été constitué dans les budgets des trois institutions, alors que les commissions de gestion qui les chapeautent se réunissent, rien ne semble pousser ses composantes au rapprochement. Il est évidemment absurde de vouloir tripler le management, a fortiori sur un même site, les services d’appui et surtout, les moyens nécessaires à la recherche et aux missions de service public. C’est pourtant le cas. Dans une simulation que nous avons effectuée sur la base de plusieurs hypothèses, les économies d’échelle possibles sur le seul Pôle Espace se situeraient dans une fourchette allant de 2,6 à 4,3 millions d’euros récurrents. C’est énorme et cette manne pourrait largement servir le potentiel de recherche et de service public scientifique du plateau. Cette vision se voit d’ailleurs également confortée par l’existence de notre politique spatiale et les moyens qu’elle mobilise. Mises ensembles, ces capacités d’action pourraient offrir à la Belgique une institution phare de niveau européen voire mondial, forte de plus de 200 chercheurs focalisés sur des thèmes proches, réceptacle de nombre d’activités scientifiques issues des financements de l’ESA ou d’EUMETSAT (41). Ce centre serait aussi leader dans les programmes qui utilisent les technologies spatiales au service d’autres activités de recherche, en particulier, le Pôle Nature et même la Base de recherche en Antarctique. Dans l’étude déjà citée (42) on analyse, pour chaque ESF du plateau, les collaborations nationales et internationales qui sont nouées. Ainsi, on observe que si 70% des relations de l’IRM se concentrent sur l’Union Européenne, il n’y en a que 5% de formelles avec les autres ESF (tous inclus). A l’échelle de l’ensemble du pôle, et alors qu’on dénombre plus de 350 contrats de collaborations, seulement 4,7% impliquent d’autres Etablissements fédéraux, et en particulier ceux du Pôle Espace. C’est pour le moins étonnant… et préjudiciable à l’essor de cette compétence fédérale.

Mais ce n’est pas tout. Les activités du Pôle Espace et de toute la politique spatiale sont également génératrices de retombées économiques considérables (43). Rappelons tout d’abord que le Pôle Espace représente un poids économique estimé à 35 millions d’€ pour un personnel de 497 personnes (données 2008). La part fédérale, directe et indirecte dans ces budgets, varie, mais elle est considérable. Ainsi par exemple, en 2008, 86% du budget total de l’ORB était issu de sources fédérales (44). Globalement, la part publique du financement du plateau est de l’ordre de 94% du total des recettes. C’est l’IRM, avec ses prévisions et services météo, qui se taille 90% de ces 6% de recettes propres auxquelles on peut ajouter quelques moyens issus du Planétarium, dépendant de l’ORB. En 2006 (45), 46 millions d’euros ont été générés par les activités du seul Pôle assurant ainsi, environ, 600 emplois. Le multiplicateur de production est de 1,7, ce qui signifie que 1 euro investi au plateau d’Uccle génère 0,7 euro additionnels pour l’économie belge (46). Si, cette fois, on intègre à notre analyse les données issues des activités spatiales liées à notre participation à l’ESA et même les activités aéronautiques, dans le cadre des programmes Airbus, ces retombées économiques sont plus impressionnantes encore. Il n’est en effet pas inutile de mettre ensemble ces trois volets : Etablissements du Pôle Espace, activités spatiales via l’ESA et programmes aéronautiques, tous financés par BELSPO. Ils constituent en effet, un nouveau continuum, objet de nombreuses fertilisations croisées. Les industriels du spatial sont souvent proches de ceux de l’aéronautique ; les financements des programmes spatiaux, très orientés vers les technologies, offrent d’intéressantes perspectives aux marchés ; les scientifiques du plateau reçoivent des moyens, considérables, issus des programmes de l’ESA.

Relations internes à la politique spatiale de BELSPO

Aux termes de l’étude économétrique déjà citée et sur la base d’une méthodologie qu’il n’est pas nécessaire de décrire ici mais qui s’appuie sur l’étude approfondie de 14 entreprises bénéficiant des aides de BELSPO suivie d’une extrapolation à l’ensemble du système (47), on retiendra que l’effet multiplicateur net des Programmes ESA atteint globalement 1,4 (programmes industriels commandés). Il génère environ un millier d’emplois industriels et, en tenant compte des travaux de type scientifique, entre 1300 et 1800. A cela, s’ajoutent les avantages industriels indirects générés par les activités des Etablissements du plateau d’Uccle ainsi que les effets liés à l’accroissement des compétences, de l’expérience et des qualifications du personnel, de tout niveau, impliqué dans les programmes et le potentiel que cet effet multiplicateur offre aux entreprises pour ses développements futurs. On le voit donc, ce secteur de pointe est extrêmement important sur le plan économique et démontre l’importance de BELSPO dans l’économie belge.

Enfin, le Pôle Espace est aussi un acteur important à l’égard du grand public. Nul n’ignore l’impact qu’a eu la conquête spatiale dans l’émergence de vocations d’ingénieurs et de scientifiques dans la seconde partie du XXe siècle. Il en est de même aujourd’hui en ce qui concerne les développements technologiques mais aussi du rôle d’exemple joué par des hommes comme Dirk Frimout ou Frank Dewinne. Notons également le rôle important du Planétarium situé sur le plateau du Heysel, en ce qui concerne la valorisation des sciences : l’astronomie évidemment, mais pas seulement. En effet, grâce à des financements fédéraux, l’ORB a pu équiper le Planétarium d’un nouveau projecteur numérique à 360° permettant la projection « full dôme » de films traitant de tous les domaines de la Science. Ainsi, ce merveilleux outil pourra servir, non seulement, à la valorisation des activités du Pôle Espace, mais aussi de toutes celles de la Politique Scientifique fédérale.

En conclusion, nous pouvons affirmer que les activités des Etablissements du Pôle Espace, en tant que telles mais aussi en tant que partie de toute la politique spatiale belge, sont, pour le moins, porteuses d’un très grand potentiel lié à la qualité des scientifiques qui y travaillent. Le décloisonnement total de leurs activités permettrait donc, non seulement, de donner la juste mesure de ce potentiel en développant des stratégies unifiées mieux en phase avec les évolutions actuelles des Sciences et des Technologies, mais aussi de donner à l’ensemble une taille critique au regard des autres centres comparables en Europe et dans le monde. Malgré une orientation stratégique des programmes de recherche, cette organisation permettra également de développer une recherche scientifique libre et plus fondamentale. Cette approche est une nécessité tant en termes d’usage rationnel et optimisé des deniers publics qu’au regard du lien direct qui existe entre ces activités, le développement économique et l’emploi. Enfin, en termes de management, le plateau serait polarisé autour d’une Direction générale et se développerait sur trois axes : une Direction d’appui, une Direction de la recherche et une Direction du Service public scientifique (sismologie, prévisions météo, services divers au secteur du positionnement satellitaire, …).

Les autres perspectives du Pôle Art fédéral

Les musées royaux, MRAH et MRBAB, détiennent des collections importantes et reconnues à un niveau international. Par exemple, les MRAH, à travers les collections du Musée des Instruments de Musique (MIM), disposent de pièces parmi les plus importantes au monde, de même d’ailleurs que sont exceptionnelles ses collections d’art extrême-oriental. Dans ce domaine, il faut souligner l’exceptionnelle collection d’estampes japonaises unique au monde (plus de 7.000 planches). Les collections d’art d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud sont aussi exceptionnelles. Dans le domaine de l’art de nos régions, on signalera l’ensemble exceptionnel d’art mosan. Enfin, dans le registre des arts décoratifs, les MRAH disposent du noyau de ce qui devrait former un Musée de l’Art nouveau. Les MRBAB, quant à eux, conservent certains des fleurons du patrimoine belge et européen. On rappellera que c’est là qu’est conservé le Marat assassiné de Jacques-Louis David considéré comme une des icônes de l’art de l’époque moderne. Les MRBAB livrent un parcours artistique continu depuis le XVe siècle bourguignon jusqu’à la création la plus contemporaine qui, faute de place, est rarement visible. Outre les Primitifs flamands, les ensembles les plus remarquables sont 1. Bruegel et ses fils (48)  ; 2. l’ensemble de grandes peintures de Rubens exécutées pour Bruxelles ; 3. Ensor et Khnopff ; 4. l’expressionnisme flamand ; 5. Magritte ; 6. Broodthaers. Il conviendrait enfin d’associer aux collections des MRAH et des MRBAB, celles d’autres ESF de BELSPO qui constituent des partenaires potentiels selon les projets : le Musée de l’Afrique centrale à Tervuren pour les MRAH ; la Bibliothèque royale - avec son Cabinet des estampes - et les Archives générales du Royaume pour les MRBAB. Hors de ce périmètre immédiat, il faut aussi signaler les collections du Théâtre royal de la Monnaie qui ne dispose pas de musée mais qui est, d’ores et déjà, partenaire des MRBAB dans son projet de Musée « fin de siècle ». Pour fixer plus précisément encore les idées, rappelons que les MRBAB disposent d’une dotation issue de BELSPO de 4.350.000 € qui représente 36% de son budget global, que les MRAH disposent d’une dotation de 5.530.000 € qui représente 51,57 % de son budget global et, qu’enfin, l’IRPA dispose, quant à lui, d’une dotation de 1.513.000 € qui représente 62,06 % de son budget global. Dans le cas des musées, les recettes autres que la dotation sont le fruit des expositions, de la billetterie, du sponsoring et des activités commerciales de l’institution. En ce qui concerne le personnel, les MRBAB emploient 270 personnes, pour un équivalent temps-plein de 206 ; les MRAH emploient 342 personnes, pour un équivalent temps-plein de 287 personnes et enfin, l’IRPA emploie 161 personnes, pour un équivalent temps-plein de 129. L’ensemble représente 777 personnes, dont 53,15% sont directement payées sur l’enveloppe de personnel de BELSPO.

Les institutions muséales du « Pôle Art » s’articulent également autour de grands récits qui ont largement présidé à leur constitution et ont défini les modèles de leur déploiement. Le projet qui vise à repenser l’organisation de ces musées phares passe, à nos yeux aussi, par une redéfinition de leur objet : art moderne ; art ancien ; civilisations non européennes… sont autant de réductions qu’il conviendrait de déconstruire afin de composer un sens nouveau. A moins de considérer les adjectifs « moderne » et « contemporain » comme de simples repères chronologiques associant à toute œuvre d'art son momentum historique, l'appellation à donner, par exemple, à notre futur « musée d'art moderne et contemporain » (voir plus loin) doit constituer le point de départ d'une réflexion fondamentale. Sommes-nous encore en droit d'utiliser ce terme dès lors que nous l'accordons à une histoire largement écrite et que seules des institutions, reconnaissons-le, comme le Museum of Modern Art de New York ou le Centre Georges Pompidou s’avèrent capables d'illustrer par leurs collections ? En réalité, le grand récit de la modernité a fait depuis lors l'objet d'une critique radicale portant notamment sur une sorte d’arrogance européenne à s’emparer d’une quelconque aspiration universaliste. Ne serions-nous pas mieux inspirés de penser à une sorte de « régionalisme européen », estiment certains (49)  ? Il en est de même de la définition de la « modernité » qui s’appliquerait à l’art. Ces lectures « autres » de l'histoire nous concernent au premier chef dès lors que des institutions comme les nôtres, les Etablissements scientifiques fédéraux, conservent des collections qui ne recouvrent pas directement le grand récit dominant de la modernité du XXe siècle ou des civilisations extérieures à l’Europe, mais simplement jugées à l’aune de ses seuls critères. Notre projet constitue une opportunité de revoir, fondamentalement, notre regard sur le patrimoine dont nous avons la charge.

Au-delà de ces considérations, le présent projet de réorganisation repose sur une nouvelle coordination des deux institutions existantes (MRAH et MRBAB) tout en créant un cadre qui permettra d’inclure l’IRPA qui drainera vers lui les missions de conservation-restauration et surtout de recherche en histoire de l’art. Notons que si cette description - recherche en histoire de l’art - peut sembler restrictive, elle concerne bien ce qui fait la force et la réputation de l’IRPA, c'est-à-dire un laboratoire, carrefour des sciences et des technologies utiles dans l’étude du patrimoine. L’IRPA deviendra également responsable de la gestion de l’iconothèque et des bibliothèques du pôle. Des moyens financiers nouveaux, ainsi que du personnel actuellement occupé ailleurs, seront donc amenés à converger vers ce que deviendra le nouvel IRPA. La philosophie du projet est fondée, de la même manière que pour les autres pôles d’ailleurs, sur la mise en place de fonctions partagées essentiellement dans le registre des services d’appui. Ces services formeraient l’épine dorsale d’un redéploiement des collections sous forme d’unités opérationnelles (unités muséales), unités de conservation ou unités de recherche. Les Unités de conservation visent les équipes qui ont la gestion des collections, que celles-ci soient exposées ou conservées en réserve. Leur finalité est par conséquent exclusivement de l’ordre de la conservation. Les Unités muséales, qui peuvent, le cas échéant, recouper plusieurs Unités de conservation, sont orientées sur la présentation au public de collections qui forment un ensemble cohérent dont la finalité ne sera pas exclusivement scientifique comme dans les Unités de recherche, qui ne sont, elles, pas nécessairement liées à la détention d’une collection. Cette réalité s’applique en particulier à l’IRPA qui, outre sa mission d’étude et de restauration du patrimoine partout en Belgique - mission qui doit être maintenue - développera de nouvelles missions de recherche, et ce, sans disposer de collections propres. Les Unités muséales sont imaginées en termes d’attractivité culturelle et touristique, sans d’ailleurs négliger l’approche académique indispensable au maintien du niveau et de la réputation de nos Institutions. Elles s’articuleront à partir de l’excellence des collections conservées, de l’expertise scientifique liée à ces collections et de la claire identification de ce patrimoine par le public. Ainsi, concrètement et selon les sites :

  • Le site du Mont des Arts
    • Le I Fiamminghi Museum (titre de travail (50) ) Il s’agit ici de redéployer l’ensemble des collections conservées aux MRAH, aux MRBAB, aux Archives générales du Royaume (cartographie) et à la Bibliothèque royale de Belgique (Cabinet des estampes et cartes) afin de retracer, du XVe siècle bourguignon à la fin du XVIIe siècle, l’évolution de l’histoire de l’art de nos régions dans l’ensemble des domaines de création. On retrouverait là des cartes retraçant l’évolution historique de nos régions, la Bibliothèque de Bourgogne, la peinture des Primitifs flamands, la sculpture dans les Pays-Bas, les maniéristes anversois, Rubens, les arts décoratifs…
    • Le Musée « Fin de siècle » Museum (titre de travail). Ce projet est en cours de réalisation. Avec l'organisation, dans les salles mêmes des Musées royaux des Beaux-Arts, des salons des XX (1883-1894) et de la Libre Esthétique (1894-1914). Bruxelles a, en effet, constitué à l’époque un carrefour de la création unique, dans la conjonction du symbolisme, du wagnérisme et de l'Art nouveau, produisant les emblèmes d'une identité qui a largement déterminé le visage de Bruxelles. « Bruxelles Capitale de l'Art nouveau » n'est pas qu'une réalité architecturale. Le terme recouvre d'abord le dynamisme d'une société. Et celui-ci s'est manifesté dans tous les domaines de la création : littérature, peinture, opéra, musique, architecture, photographie ou poésie ; Maeterlinck, Verhaeren, Ensor, Khnopff, Spilliaert, Maus, Horta, Van de Velde, Kufferath, Lekeu...
    • Le Musée Magritte qui reste tel qu’en l’état, tout en s’enrichissant de manière permanente d’œuvres et de pièces venues du monde entier et de collections privées, faisant l’objet de présentations temporaires.
    • Le Musée des Instruments de Musique aura bientôt amorti ses installations et devrait faire l’objet d’investissements majeurs. La proposition viserait à déplacer le MIM vers l’ancien Dexia Art Center (anciens établissements Vanderborght), sis rue de l’Ecuyer, où pourrait s’installer aussi des salles de répétitions du Théâtre royal de la Monnaie. La rencontre de ces deux prestigieuses institutions permettra de développer in situ un ambitieux projet de « Cité de la musique » permettant au MIM de ne pas se limiter aux seuls instruments de musique et dotant l’institution d’un espace d’expositions temporaires qui lui fait actuellement défaut. Les synergies avec le TRM seraient maximales.

  • Le site du Cinquantenaire.
    Le principe général vise ici à développer l’image du Cinquantenaire comme site dédicacé à l’Europe et donc de redéployer les MRAH comme un grand musée de l’Europe articulé à partir de plusieurs pôles. Dans ce contexte, le Musée de l’Armée (dépendant du Ministère de la défense) pourrait être réorienté, dans sa dimension d’unité muséale (51), comme un lieu approchant la constitution de l’Europe à partir des conflits modernes qui ont été le moteur de sa construction. Il s’agirait donc d’une sorte de musée à vocation anthropologique et politique, centré sur la dialectique guerre-unité européenne. En ce qui concerne les MRAH, deux ensembles se dégagent :
    • Le Musée des Antiquités (titre de travail) qui renoncerait à un parcours strictement chronologique pour développer des thématiques qui renverraient aux fondements d’une culture européenne : Ulysse, la philosophie grecque, la démocratie, savoir et connaissance dans l’Egypte antique, l’image de l’Orient comme opposition à l’identité occidentale, l’olivier et le vin… A partir de ces thématiques, c’est un socle de la culture occidentale qui sera mis en évidence à travers la permanence de la référence à l’Antique qu’illustrera le Musée grâce à des partenariats avec les MRBAB et la Bibliothèque royale.
    • Le Musée des civilisations (titre de travail). Ce musée sera consacré aux civilisations non européennes. Comme c’est le cas aujourd’hui, celles-ci seront développées dans leur singularité et dans leur identité. Mais à travers l’histoire de ces collections, de l’évolution de la pratique archéologique d’abord conçue comme pillage, il y aurait lieu de redéployer ces cultures dans leur relation à l’Europe. Ainsi, des questions comme les échanges, les croisades, les voyages, l’altérité, le colonialisme, le post-colonialisme… pourraient être abordées à travers les relations que l’Europe a nouées avec ces cultures. a nouveau, la cartographie permettra de doubler cette approche des formes de représentation propres à chaque époque.
    • Le Musée des arts décoratifs, actuellement en cours d’élaboration, réunit l’ensemble des collections déjà installées dans l’aile Sud du bâtiment autour du narthex. Avec un parcours qui va de l’art mosan à l’art déco.
    • Enfin, le nouveau Musée des Arts modernes et contemporains dont l’implémentation sur un site à définir, mais idéalement dans le Parc du Cinquantenaire aura un effet de levier sur le redéploiement des Institutions qui y sont logées au regard de la destination européenne de ces outils (Voir plus loin).
    • La Porte de Hal, doit faire l’objet d’une réflexion quant à son affectation en partenariat avec la Ville de Bruxelles et la Région Bruxelles-Capitale afin de l’intégrer dans une politique de développement d’un tourisme historique à Bruxelles. Et ce, avec des liaisons vers la Maison du Roi ou le site archéologique du Coudenberg. Sa visibilité actuelle manque d’une identité claire. Dédicacer ce lieu, dont l’environnement a été récemment ristourné, aux remparts de Bruxelles est peu viable économiquement. En faire un musée du Moyen Âge demanderait d’en repenser complètement l’équipement et d’en revoir le programme...
    • Le site de Laeken ne serait exploité que d’avril à septembre et opéré en mode mineur le reste de l’année. Son utilisation doit être repensée pour ne plus répondre à un impératif muséal mais à des expositions temporaires qui seraient présentées parallèlement à l’ouverture des serres de Laeken et au gros de la saison touristique. Il existe peut-être également des projets à développer via des partenariats notamment avec les autorités chinoises qui ont marqué de l’intérêt à cet égard, afin de mieux mettre en évidence ce potentiel et ses infrastructures exceptionnelles et sous-exploitées

Chaque unité muséale devra faire l’objet d’un business plan détaillé en fonction des équipes présentes et des moyens nécessaires à son entretien et à son gardiennage. A noter que BELSPO a pour projet de développer une « Agence de gardiennage » commune à tous les musées afin de dégager de l’efficacité et des économies d’échelle. Une fois fixé le plan stratégique, ces business plans pourront être menés à bien sur le modèle de celui réalisé pour le Musée Magritte. Et ce, en intégrant une politique tarifaire qui permettrait - comme ce fut le cas du Musée Magritte - que le développement des nouvelles unités muséales se fasse à l’intérieur de l’enveloppe existante.

Le Pôle Art serait donc désormais polarisé autour de deux pôles géographiques et d’un Centre d’excellence de recherche, d’étude et de restauration du patrimoine belge, l’actuel IRPA. Il serait coordonné par une seule Direction générale, une direction d’appui, une direction « IRPA », nouvelle mouture et des responsables de sites. L’ensemble constituerait les Musées royaux de Belgique.

Le cas spécifique du Pôle Nature

Le Pôle Nature est également un bel exemple de qualité, tant sur le plan muséal, que patrimonial ou scientifique, mais aussi un exemple de l’insuffisance des collaborations fertiles. Elles existent, certes, mais n’ont pas atteint le stade qui permettrait aux deux Institutions une nouvelle émergence dans nombre de secteurs. A l’instar de la réflexion qui est menée au niveau du Pôle Art quant aux fondements de ce qui unit ses éléments patrimoniaux, le Pôle Nature doit saisir l’opportunité de cette réforme pour repenser son rôle, son image et ses missions. Nous pensons notamment au rôle du MRAC dans les grandes questions liées à l’Afrique contemporaine par rapport à son image actuelle de « musée colonial » ou à la question du développement durable, de la protection de l’environnement (via aussi la politique spatiale (52) ) et de la biodiversité qui sont des thèmes où les deux Etablissements, ensemble, pourraient apparaître comme des leaders mondiaux. Les domaines cependant où des actions communes devraient être développées sont nombreux. Prenons par exemple les collections ethnographiques que nous avons déjà évoquées à propos du Pôle Art et des Musées royaux d’Art et d’Histoire qui ouvrent de magnifiques perspectives pour un musée des Arts premiers, des civilisations… de même, les Musées royaux d’Art et d’Histoire, le Muséum des Sciences naturelles et le Musée de l’Afrique centrale disposent de superbes collections sur la « préhistoire », l’ère Quaternaire et offrent de belles opportunités pour exhumer ces collections, ouvrir au grand public une nouvelle capacité à les découvrir et ainsi, constituer un ensemble de dimension internationale, tant en termes de collections que de recherches scientifiques. En réalité, les exemples sont légion. Mais celui qui va, tout particulièrement, focaliser notre attention est celui qui a trait à la biodiversité. En effet, au moment d’écrire ces lignes, nous nous trouvons au carrefour de cinq éléments : trois Institutions, une ambition légitime et une situation institutionnelle particulière. Les Institutions sont l’Institut royal des Sciences naturelles, le Musée de l’Afrique centrale et… le Jardin botanique national de Meise ; l’ambition légitime est celle de bâtir sur les compétences fédérales un Centre d’excellence de dimension internationale en matière de biodiversité ; et la situation institutionnelle est celle qui nous amène à devoir finaliser le contenu des accords de la St-Polycarpe ayant trait à la régionalisation de l’agriculture. En ce qui concerne ce dernier aspect, rappelons que, parmi les effets collatéraux de cette régionalisation de l’agriculture, décidée en 2001, figure le transfert à la Région flamande, du Jardin botanique national et surtout de ses collections. Dans l’accord institutionnel de décembre 2011, est inscrite la volonté de concrétiser cette ambition politique qui pourtant est suspendue à la formalisation d’un Accord de coopération entre les Communautés. Or, cet accord achoppe sur un volet critique : le maintien de ses collections historiques au fédéral. La question est complexe, car, cela va de soi, une collection de ce type n’est pas seulement un objet matériel. C’est un ensemble vivant qui doit être entretenu, préservé, étudié. Pour ce faire, il faut des compétences, notamment du personnel scientifique, et il nous apparaît que les seuls à pouvoir en disposer au fédéral sont les conservateurs des collections botaniques de l’Institut royal des Sciences naturelles et de Tervuren. C’est tout particulièrement vrai lorsqu’on sait que les pièces les plus remarquables de la collection de Meise concernent l’Afrique. Notre objectif est donc de mettre sur pied le BeTAF (53) institution qui devrait disposer d’un véritable statut sur base d’un accord tripartite entre les trois Institutions, d’une part, les deux grandes Communautés, ensuite et le Fédéral enfin. Celui-ci aurait pour objet de concrétiser les accords de la St-Polycarpe et conduire à ce que ces collections soient placées dans le giron de BELSPO. Ce faisant, nous serions de facto en capacité de créer ce Centre d’excellence exceptionnel en matière de sauvegarde et d’études des questions liées à la biodiversité, mais aussi de participer à la conclusion de cet accord aux contours si symboliques dans le monde politique.

Les missions de service des deux entités devraient également faire l’objet de fertilisations croisées dépassant les frontières mêmes du pôle. On peut, en vrac, envisager le patrimoine de l’Océanie concernant les MRAH et le MRAC ; la gestion des questions liées au climat associeraient les Etablissements du Pôle Nature à ceux du Pôle Espace dans le cadre d’une Centre d’excellence à créer ; la géologie et la connaissance des sous-sols concerneraient également les deux Etablissements du Pôle ; les questions liées à l’océanographie et notamment à la mer du Nord, qui nécessiteront bientôt de nouveaux et lourds investissements (54), devraient plus globalement impliquer les autres entités de BELSPO mais aussi d’autres Départements fédéraux, comme l’Environnement, la Défense, l’Economie…

Cependant, contrairement à ce qui a prévalu en termes d'organisation, l’intention n’est pas ici de procéder à une fusion des entités du Pôle. En effet, les deux Etablissements étant fort distants l’un de l’autre et, de surcroît, le MRAC étant situé en Flandre, la création d’une seule entité serait difficilement envisageable compte-tenu notamment du contexte institutionnel. Notons aussi que les deux Etablissements ont une taille et des budgets proches des seuils pertinents en termes d’effets de masse. Même si le MRAC ne compte que 239 collaborateurs (ETP) et un budget de 8,2 millions d’euros (55), l’IRScNB, lui, dispose de plus 400 personnes employées (ETP) et de 11,4 millions d’euros de budget global.

La montée en puissance du Pôle Documentation

Le Pôle Documentation, composé des Archives générales du royaume, de la Bibliothèque royale et du Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES) est également à la croisée des chemins. Véhicule du passé à travers la gestion d’archives, de livres et de papiers de toutes natures, il est aujourd’hui invité à franchir un pas immense dans le monde contemporain à travers l’innovation et en particulier les techniques modernes de communication. Le Pôle est également aux prises avec des enjeux d’ordres patrimonial et scientifique. En réalité, le Pôle Documentation réunit en son sein, tous les enjeux et défis qui existent, parfois de manière diffuse, dans les autres Etablissements scientifiques et donc la politique scientifique en général. Le premier de ces défis est celui de la numérisation des collections. Au terme d’une décision intervenue pour la première fois en juillet 2001, le Gouvernement s’est lancé dans un programme de numérisation des collections fédérales qui devait être de très grande ampleur. La situation des finances publiques en a, malheureusement, limité les ambitions, de sorte que depuis cette période, seule une série de petits projets, répartis dans chaque Etablissement ont été mis en œuvre. Sur cette période, 19,5 millions d’euros ont certes été investis, mais si le rythme actuel devait être maintenu, il faudrait quelque quarante années pour atteindre un résultat significatif et autant d’années pour combler notre retard par rapport aux autres initiatives, de même nature, dans le monde. Il fallait donc innover, même dans la méthodologie. C’est la raison pour laquelle, à l’initiative de BELSPO, est apparue l’idée de mettre sur pied un Partenariat Public/privé (PPP).

Cette formule prévoit un réel partage de risques entre les partenaires et une mise à disposition initiale de fonds considérables, elle va permettre de donner une ampleur énorme à notre initiative. Au total, le projet de PPP mobilisera près de 900 millions d’euros et sera amorti par l’Etat par le biais d’une redevance annuelle. Des filières, quasiment industrielles, de numérisation seront élaborées par type de support, des systèmes hard- et software seront développés ainsi qu’un portail unique d’accès aux données numérisées. Nous aurons ainsi la capacité d’ouvrir une véritable fenêtre virtuelle sur l’immensité du patrimoine détenu dans nos Etablissements. Ce faisant, nous offrirons une ultime illustration à la nécessité absolue de briser les cloisons entre les Etablissements et les collections puisque l’internaute, lui, n’en a que faire… A cet égard, la numérisation des collections constitue le paradigme ultime de notre réforme. Elle montre que notre monde a changé et que les cloisonnements sont vains au regard des attentes des nouveaux publics que sont les internautes. Seules, les ambitions personnelles et les héritages séculaires servent de fondement à l’organisation actuelle cloisonnée de BELSPO en général, des Etablissements scientifiques, en particulier.

De ce projet extraordinaire de numérisation, les AGR et la BR sont les bénéficiaires principaux. Pour eux, le PPP représente plus de 100 millions de pages, 44.000 disques et 25.000 bandes magnétiques (56) à numériser et près de 40% du coût global de l’opération (57). A ce titre, ces deux institutions seront les acteurs principaux de ce dispositif et, dans ce contexte, il serait logique que le Pôle Documentation soit le « leader » du projet DIGITA et coordonne son implémentation dans les autres ESF. Par la même occasion, BELSPO, fort de son expérience multidisciplinaire, de son expertise scientifique en la matière et des plates-formes technologiques qu’il aura pu développer grâce au PPP, pourra se positionner, non seulement, comme expert vis-à-vis des autres Départements fédéraux mais aussi des Régions et Communautés. Ces partenariats pourraient renforcer notre rôle fédéral mais aussi permettre de valoriser au maximum les investissements consentis par l’Etat. Et ce, en générant des recettes issues des autres contributions fédérales et régionales, tout en permettant à ces entités de réaliser de substantielles économies. Grâce au projet DIGITA, le Pôle Documentation papier qu’il est aujourd’hui deviendra demain, le Pôle de documentation et du patrimoine numérique. La Contribution de la Direction ICT de BELSPO ainsi que de BELNET, qui en fait désormais totalement partie, sera déterminante à cette fin.

Mais nous l’avons dit, les Etablissements sont d’abord et avant tout, des institutions de recherche. Cette dimension doit être amplifiée, développée. Dans ce Pôle comme ailleurs. Au-delà des missions légales des Archives et de la Bibliothèque, il existe aujourd’hui, certes, d’intéressants travaux en bibliothéconomie ou en archivistique, mais l’essentiel des travaux scientifiques, en particulier de la Bibliothèque royale, porte sur un patrimoine qui n’a que peu de liens avec les activités d’une bibliothèque classique. On parle ici des estampes, des monnaies et de tout ce qu’on qualifie de réserves précieuses dont les travaux ont été notamment couronnés par les succès académiques de François de Callataÿ ou de Bernard Bousmanne, par exemple. Aux côtés de ces deux vénérables institutions figure également un Centre de recherche partenaire naturel de ses activités : le CEGES, Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines. Créé le 13 décembre 1967, la structure s’appelait à l’époque Centre de recherches et d’études historiques de la seconde guerre mondiale (CREHSGM) et avait pour but de « Prendre toutes les mesures nécessaires en vue de recenser, sauvegarder et dépouiller les documents ou archives se rapportant à la seconde guerre mondiale en Belgique… ». D’emblée il est installé dans le giron des Archives générales du Royaume. Il a adopté sa dénomination actuelle en 1997, en élargissant son intérêt à tout le XXe siècle. Il s’appuie aujourd’hui sur une vingtaine de scientifiques de haut niveau et développe des activités de recherche de très respectable réputation. Ce Centre, pourtant doté par BELSPO, ne dispose pas du statut d’Etablissement scientifique fédéral. Il demeure un satellite fragilisé par cette instabilité. Il est donc essentiel de lui conférer une reconnaissance juridique qui assure stabilité à son personnel et pérennité à ses actions. Concomitamment à cette stabilisation formelle, le Centre doit offrir au Pôle Documentation un nouveau rayonnement scientifique. Associé de manière équilibrée aux deux autres Etablissements, le Centre pourrait devenir le 3e pied du Pôle et le réceptacle des activités scientifiques du secteur de la documentation. Il sera au Pôle Documentation ce que l’IRPA sera au Pôle Art. L’ensemble étant coordonné par une équipe unifiée. Ainsi, la visibilité du Centre sera conservée et ses activités consolidées. Il en sera de même pour l’ensemble du Pôle, à travers ses 3 axes que sont : les missions légales de service public ; le projet de numérisation des collections ; et les activités scientifiques actuelles et, à terme, repolarisées et ajoutées à celles du CEGES.

Mais ce n’est pas tout. En effet, le Pôle se caractérise également par l’exceptionnelle richesse de son patrimoine et les potentialités extraordinaires de valorisation qu’il recèle. Bien sûr, en tant que telles, les Archives, contiennent mille et une sources de découvertes historiques sur un vaste champ de notre histoire, mais c’est la Bibliothèque qui réserve le plus de surprises. On y trouve par exemple une extraordinaire collection de documents musicaux, une section de chalcographie, des estampes situées dans les superbes appartements de Charles de Lorraine, constituant en soi, une intéressante découverte dans le paysage culturel de Bruxelles. On y trouve aussi de magnifiques cartes et plans, des médailles faisant l’objet de travaux scientifiques en numismatique très importants et, enfin, les manuscrits, pièces d’une exceptionnelle richesse, porteuses d’histoire, de beauté et de tellement d’émotion. La récente exposition sur les Miniatures flamandes en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France (BNF) à Paris, en offrant une spectaculaire illustration. La collection des manuscrits de la Bibliothèque royale est en effet formée par une grande partie de la librairie des Ducs de Bourgogne, considérée depuis l’époque médiévale comme l’une des plus prestigieuses du monde occidental (58). Grâce à cette richesse, qui à force de travail et de détermination a pu être exhumée par les Directeurs généraux actuels, le Pôle Documentation s’ouvre à de nouvelles perspectives dont l’ampleur sera fonction de la volonté de ses responsables de les voir accomplies avec le concours des autres Etablissements scientifiques de BELSPO. Concrètement, notre ambition sera de constituer une institution unique à l’instar de ce qu’on fit au Canada ou, plus récemment, aux Pays-Bas, susceptible, avec une seule direction générale et une seule vision, de relever les défis extraordinaires qui se profilent devant elle.

Mise en œuvre concrète de la réforme

La mise en œuvre d’une réforme, quelle qu’elle soit, mais a fortiori une de cette ampleur, doit d’abord s’appuyer sur une forte conviction. Une adhésion sans limite aux fondements qui la portent. Elle doit également se fonder sur la conscience de la nécessité de tirer un profit optimal d’une vision partagée, commune, et enfin, sur la lutte incessante contre le maintien d’unités de tailles infracritiques tant décriées par les experts européens. Au cours du temps, les responsables des Etablissements scientifiques ont été soumis à des oscillations permanentes du monde politique. Ces oscillations expliquent très largement l’ampleur du malentendu initial, du péché originel, qui les touche. Et alors que l’on avait besoin de sens, de vision, on a répondu par l’isolement, l’autonomisation, l’abandon. Ainsi donc, après avoir été des entités diffuses, isolées, héritières d’un prestigieux passé parfois multiséculaire ; après avoir été l’objet de discussions, plus triviales, pour en faire des parastataux, voire un seul parastatal (59)  ; après avoir été constitués, en 1986, en Services d’Etat à gestion séparée, statut qui semble avoir davantage focalisé l’attention sur le séparé que sur l’Etat, on a laissé accroire aux Conservateurs qu’ils étaient aux prises avec une responsabilité fondamentale… la sauvegarde de leur patrimoine, le développement de leur Etablissement, un peu comme une entreprise suspendue à ses bilans, et l’accomplissement de leur recherche scientifique censée cautionner le statut d’Etablissement scientifique. Mais ce faisant on a oublié plusieurs dimensions fondamentales. D’abord, la fragilité des hommes et des structures, ensuite, l’unicité du patrimoine et son statut d’héritage d’un passé qui ne s’embarrasse point de contingences conjoncturelles. Enfin, on a négligé la nécessité absolue, au regard du respect que l’on doit aux deniers publics, de rationaliser une organisation peu efficiente. Nous avons ainsi un devoir d’efficacité et une obligation de tout faire pour ne pas gaspiller les moyens qui sont mis à notre disposition. Nous avons aussi et surtout le devoir d’’exploiter notre potentiel extraordinaire de croissance.

Et bien qu’il faille s’interroger d’abord sur les fondements, les projets, le sens de notre action, tôt ou tard, la question des structures à mettre sur pied pour y parvenir surgira naturellement. Elle est partie intégrante de la mission et de la responsabilité qui est la nôtre, en particulier, comme responsable d’une telle organisation. Ainsi, au terme de nos réflexions, à la suite de notre diagnostic et forts de notre recul sur la question, nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait, fondamentalement revoir le mode d’organisation de BELSPO.

Notre projet est donc de conférer à chaque pôle, une direction générale unique impliquant, de facto, une vision globale à son échelle. Nous avons ensuite considéré comme une évidence le recours systématique aux Services généraux de BELSPO pour la mise en œuvre des actions nécessaires au bon fonctionnement des Etablissements et autres Directions générales, afin qu’ils puissent consacrer leurs moyens à leurs cœurs de métier : la recherche, le patrimoine et sa valorisation. Enfin, il nous est apparu que, portées désormais, par la recherche de cohérence au sein de leur propre pôle de compétence, les Directions générales futures seraient mieux à même de déterminer les synergies et actions à développer avec leurs collègues des autres pôles. L’ambition finalement de faire de BELSPO un vaste et dynamique réseau d’échanges permanents.

BELSPO serait donc constitué de cinq grands Etablissements scientifiques (60) au lieu de dix : Les Musées royaux de Belgique, Centre d’excellence et de recherche en Histoire de l’Art ; un Centre d’excellence autour du climat, de la météorologie et des questions spatiales… ; le Centre de documentation et du patrimoine numérique et enfin, un Centre d’Excellence sur la nature, la Biodiversité et l’Afrique contemporaine, composé de l’IRScNB et du MRAC. En ce qui concerne ce dernier ensemble, malgré la cohérence indispensable à la pertinence de la réforme, il est politiquement difficile de réunir, nous l’avons écrit, des entités dont une serait située sur le territoire flamand et l’autre à Bruxelles. Cette fusion rendrait d’ailleurs plus complexe encore la question des rapprochements avec les collections du Jardin botanique national de Meise.

Même si, nous l’avons vu, les questions stratégiques sont les plus prégnantes dans cette réforme, il ne faut ni négliger l’impact positif que cette organisation aura sur l’économie belge, ni la situation actuelle des finances publiques qui rend illusoire toute ambition de financement accru. Cette réforme, nous l’inscrivons donc également dans le double cadre de la crise que nous connaissons aujourd’hui et de l’impact économique des activités que nous développons. Nous l’avons déjà évoqué à propos du Pôle Espace et de la politique spatiale, l’impact des Etablissements scientifiques sur l’économie est considérable. Selon l’étude économétrique que nous avons développée, les effets en Belgique des dix Etablissements scientifique s’élèvent à 266 millions d’euros et à 4.000 emplois. Chaque euro dépensé pour mener à bien les activités des ESF génère environ 1 euro de production dans le reste de l’économie belge via la satisfaction des besoins de consommation intermédiaire et de consommation finale induite par les salaires versés. Ce résultat est très élevé et proche des multiplicateurs les plus élevés de l’économie belge, semblable à ceux de la construction ou des activités informatiques. Nous estimons néanmoins qu’on peut faire mieux. On peut d’abord faire mieux en utilisant de manière plus rationnelle nos moyens de fonctionnement afin de concentrer nos budgets sur notre cœur de métier. Il faut accroître les effets d’échelle et pourchasser les gaspillages de moyens. Au terme d’une analyse basée sur plusieurs hypothèses de travail, nous pouvons estimer que les économies récurrentes que cette réforme pourrait dégager seraient comprises dans une fourchette allant de 6.7 millions d’euros à 10.8 millions d’euros, soit la possibilité de recruter entre 120 et 195 chercheurs, muséologues, historiens de l’art… Nous spéculons également sur le fait que notre vision de notre organisation aura pour effet d’amplifier encore notre retour sociétal et économique afin de jouer au mieux notre rôle.

nouvel organigramme de BELSPO

Mais cette approche serait incomplète si ces efforts n’avaient pas pour cible de renforcer les missions essentielles de notre Département : le patrimoine, la culture et la recherche scientifique. A cet égard, notre tour d’horizon aura pu montrer avec précision la valeur de ce patrimoine, la capacité qu’il a à amplifier notre rôle culturel en le rapprochant du grand public et enfin, la qualité exceptionnelle de notre recherche scientifique. Telles sont nos seules sources de motivation.

Conclusion générale : Qui n’avance pas recule…

Nous l’avons montré, le système d’innovation belge est caractérisé par un très préjudiciable morcellement alors même que son financement est considéré comme insuffisant et en particulier en terme de contribution publique. Nous sommes très loin des objectifs de Barcelone… Un pareil constat mesuré à l’aune des difficultés actuelles des finances publiques doit nous amener, à tout le moins, à faire mieux avec ce dont on dispose, a fortiori s’il apparaît que l’organisation-même est porteuse d’inefficacité. Tout qui, d’une manière ou d’une autre, à un rôle à jouer dans ce système doit donc appréhender cette réalité et prendre ses responsabilités. C’est dans ce contexte que se situent notre projet et la réforme que nous portons au niveau fédéral. Il se trouve en effet, qu’à leur échelle, la situation des Etablissements scientifiques fédéraux relevant de BELSPO est fort semblable à celle des différentes entités institutionnelles qui interviennent dans le système d’innovation belge. Il nous est donc apparu évident que des rationalisations et des effets d’échelle devaient être mis en œuvre. Le but est donc, en particulier en période de crise, de conserver, en soi, la capacité de développer nos activités et non de les voir stagner.

Au-delà de cette ambition, somme toute évidente, l’enjeu de la réforme est aussi de mieux répartir et donc valoriser le patrimoine exceptionnel dont nous avons la charge. Cette stratégie est porteuse de nombreuses perspectives, certes culturelles et donc, sociétales mais aussi économiques. L’industrie du tourisme et de la culture sont en effet des sources de développement considérables pour la Ville de Bruxelles etsa région dont la vocation est clairement nationale et internationale. Je prendrai deux exemples pour terminer : celui des Pôles d’Attraction Interuniversitaire et celui de la création d’un nouveau Musée d’Art Moderne à Bruxelles. Les PAI sont la plus belle et la plus prestigieuse illustration de notre stratégie. Malgré le tendanciel centrifuge de la Belgique fédérale, ils organisent une coopération interuniversitaire et donc interrégionale, et constituent des réseaux de recherche fondamentale qui nous positionnent au plus haut niveau international. Et ce, grâce à la disparition des cloisons de toutes natures qui existent entre les centres de recherche du Pays. Ce sont d’ailleurs les PAI qui font, pour une très large part, la réputation internationale de la recherche scientifique belge. C’est un modèle. C’est même une source d’inspiration européenne (61)... Quant au Musée d’Art Moderne, il constitue un symbole pour de multiples raisons. Il est l’emblème de notre volonté de nous projeter dans le futur ; il confirme la foi que nous avons dans le potentiel que recèle notre patrimoine fédéral ; il constitue une source considérable d’intérêt pour des mécènes et représente, par son attractivité attendue, une source très significative de développements économiques pour la ville et la région bruxelloise, ainsi que pour le pays tout entier.

Ainsi, la réorganisation des Etablissements scientifiques et de toute la Politique scientifique fédérale permettra à notre pays de mieux tenir son rang dans les domaines de la recherche et de l’innovation qui sont la source de notre développement à venir et de la relance économique européenne. Sans cela, sans la prise de conscience réelle de la nécessité de rationaliser nos approches de ce secteur, notre pays risque de s’étioler doucement, annihilant nombre d’espoirs pour les générations futures.

Bruxelles, 14 février 2012